jeudi 26 janvier 2012

UN MONUMENT DE LA CHANSON KABYLE VIENT DE NOUS QUITTER

Dda Chérif vient de nous quitter, ce jour 23 janvier, à l’âge de 85 ans. C’est un monument de la chanson kabyle que nous venons de perdre. Un maître qui a aidé plus d’un ARTISTE avec l’émission « Ichennayen uzekka).
Dda Chérif a laissé des chefs-d’œuvre incontestables, des chansons qui ne périront jamais.
Ce décès est arrivé tel un coup sec et a ébranlé plus d’un. On ne s’attendait pas à ce que Chérif Kheddam parte de cette façon. Nous pensions qu’il était éternel comme le sont ses chansons : Lemri, Amarezg, Akal dedjan lejdud, Xir Ajellav n tmurt-iw,  Djurdjura, lukan destughal temzi, Edes  iddunit , Cfigh i yemma, Bgayet, et bien  d’autres…
Hier au soir, j’étais avec des amis, il n y avait que Chérif Kheddam dans la voiture, j’ai posé la question à l’un d’eux : Aujourd’hui c’est la journée  « Dda Chérif » ? et oui est-ce un signe du hasard ou était-ce une veillée funèbre que nous lui avons organisée sans le savoir, alors qu’il était sur le point de rendre l’âme ?
Nous avons tant souhaité le voir un jour à Montréal, nous avons parlé avec Madjid Benbelkacem, lors de l’hommage que nous lui avons rendu il y a quelques années, malheureusement, Dda Chérif était malade et avait des séances de Dyalise et de ce fait ne pouvait venir à Montréal.
La communauté Kabyle de Montréal est ébranlée par le décès du grand Maître et présente ses sincères condoléances à toute la famille Kheddam, à la famille artistique et à la nation Kabyle.
Repose en paix Dda Chérif, merci pour tout ce que tu nous a légué. C’est un trésor inestimable.
La sauvegarde de notre langue…
Tekksêd awal seg mi
Tdjaàled ad ssusmegh
Iles ma yugi ad yini
S ufus iw a tid ketbegh
Ghas tekksêd iyi izêri
F teghmert iw ad àassegh
Tu m’ôtes la parole de mon enfance
Croyant me réduire au silence
Si ma langue refuse une autre, étrangère
Je prendrai la plume pour l’écrire même de ma civière
Du seuil de ma montagne, je monterai la sentinelle
Malgré la chape de silence, la parole sera éternelle
Vivre dans mon pays 
Xir ajellab n tmurt-iw
Mi ttfegh di nnif-iw
Wala axelxal aberrani
D azdayri d zuxagh s yisem-iw
S3igh lqedr-iw
Wala ad iligh d lghani

Plutôt des haillons dans mon pays natal
Qu’une perle et parure dans un pays occidental
Vaut mieux être un Algerien
Fier de son patelin et de son destin.
Être respecté par les nôtres
Que d’être riche chez les autres.
Tassadit Ould-Hamouda

(*) Une brève biographie de Dda Chérif Kheddam
Il est né  le 1er janvier 1927 à At-Bu-Messaoud en Kabylie. Il débute l’école française en 1936  à 17 kms de son village. Ne pouvant poursuivre dans de dures conditions sa scolarité, son père l’inscrit à la Zaouia Nath Boudjelil (Tazmalt). En 1942, il termine ses études coraniques.
À l’âge de 12 ans, il s’installe à Alger et commence à travailler comme journaliser dans une entreprise de construction de Oued-Smar. En 1947, Chérif Kheddam quitte l’Algérie  pour la France, il s’établit à Saint-Denis pusi à Épinay.  Entre 1947 et 1952, il travaille dans une fonderie et à partir de 1953, il est recruté par une entreprise de peinture.
Parralèllement, à son travail, Chérif Kheddam prend des cours de solfège le soir (cours privés).Et c’est de là  que Dda Chérif commence à pratiquer la musique et le chant.
Sa première chanson Yellis n tmurt iw (Fille de mon pays), enregistrée le mois de juillet sur un disque 78-tours grâce au concours d'un ami français, libraire de profession. La diffusion du disque par la RTF (Radio-Télévision française) lui assura un certain succès.
Malgré son premier succès, Chérif kheddam chante dans des conditions toujours difficiles. Il mène deux activités diamétralement opposées : le travail dur de l’ouvrier et la création artistique qu’il tentera de maîtriser pleinement.

Chérif Kheddam persévère dans cette voie grâce à l’encouragement de ses amis, en particulier Madame Sauviat, disquaire, spécialisée dans la chanson orientale, qui, ayant remarqué la qualité de cette chanson, le dirigera vers Pathé Marcon qui lui établit un contrat en 1956.

Il compose pour Radio Paris, puis pour l'ORTF plusieurs morceaux exécutés par le grand orchestre de la radio sous la direction de Pierre Duvivier. D'autres pièces sont interprétées en 1963 par l'orchestre de l'Opéra comique.
Mais du côté de ses confrères chanteurs, on a compris que la démarche de Chérif Kheddam est une démarche d'avenir. Ainsi la rencontre avec Ahmed Hachelef, directeur artistique, sera également importante dans la carrière de l’auteur. Les affres de l’exil et de la guerre d’Algérie le poussent au repli sur soi et à la création. De cette situation paradoxale naît l’œuvre musicale de Chérif qui va se tourner vers une carrière professionnelle.

Conscient de l’indigence qui affecte le patrimoine musical enfermé dans une tradition sclérosée, il tente de l’enrichir, de le rénover sans gommer ses caractéristiques. Il a su créer un espace d’expression ouvert sur la modernité, imposer une rigueur au niveau de la création qu’il n’a pas manqué d’inculquer aux jeunes chanteurs. Il a en effet, encadré des groupes et formé des émules de la chanson moderne qui, aujourd’hui encore, se réclament avec fierté du maître. Parmi eux, on trouvera des noms connus dans la chanson militante amazighe : le groupe Yugurten, Ferhat Imazighen Imoula, Idir, Aït Menguellet, Malika Domrane, Nouara, Ahcène Abassi...

Pendant l'année 1958, Chérif Kheddam composa et enregistra certaines de ses plus belles chansons : Nadia, Djurdjura, Khir Ajellav n'Tmurtiw, entre autres. Chérif Kheddam, qui a une très haute idée de la poésie, ne se considère pas comme un poète : il a répété à qui veut l'entendre que, pour lui, la musique est plus importante que les paroles, témoigne Tahar Djaout. Et pourtant, les compositions poétiques de notre chanteur sont d'une extrême sensibilité, d'une rythmique envoûtante faisant mouvoir un appareil métaphorique d'une originalité certaine. Qu'il chante la femme kabyle, la montagne du Djurdjura, l'exil, la patrie, l'indépendance, l'amour et ses déboires, Chérif Kheddam exalte des valeurs esthétiques indéniables et s'éloigne du moralisme ambiant ayant marqué certains chanteurs de l'époque. La chanson Alemri est un exemple de réussite poétique et musicale qui fait partie des œuvres éternelles de l'auteur.

En 1963, Chérif Kheddam rentre au pays et prend contact avec la Chaîne II de la radio nationale qui l'engage aussitôt. Il avait animé plusieurs émissions de radio, mais c'est avec Ighennayen Uzekka qu'il sera connu et hautement apprécié pour avoir déniché des talents, conseillé et encouragé les nouveaux venus au monde de la chanson. Son émission équivalait à un sévère jury qui donnait le quitus à un avenir artistique pour le candidat ou le conseil pour s'éloigner d'une aventure où il risquerait de perdre du temps et de l'énergie pour rien.

Il est aussi sollicité comme professionnel dans une commission d'écoute en kabyle et en arabe au sein de l'ex-RTA. C'est grâce à lui que la chorale du lycée Fadhma-N'soumer fut créée. L'idée se propagea aux autres établissements jusqu'à sélectionner plus tard les chorales du lycée Amirouche et du lycée El Khensa, d'où sortira par exemple la célèbre Malika Domrane. Chérif Kheddam prit sa retraite administrative en 1988.
Peut-on parler de Chérif Kheddam sans citer Nouara, la diva qui l'a accompagné dans un grand nombre de ses chansons et à qui il a composé des poèmes et des musiques ? Cet heureux mariage artistique entre deux sommets de l'art est sans doute un exemple unique dans la chanson kabyle en matière d'harmonie, de symbiose esthétique et d'affinités électives.
(* Auteur non identifié). 
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