Le film évoque l’assassinat de Nabila Djahnine
Tizi Ouzou, 15 février 1995, Nabila Djahnine est assassinée à bout portant par un groupe terroriste armé, affilié au GIA. Trois islamistes armés, après avoir remarqué les habitudes de la militante, vidèrent leurs chargeurs sur cette dernière, sans vider leur cœur de la haine obscurantiste qui les habite. Pourtant Nabila, âgée de 29 ans, se savait menacée mais cela ne l’avait pas empêchée de continuer à militer au sein de l’association féminine Tighri n Tmettut (Le cri de la femme), dont elle était la présidente. Architecte de formation, Nabila avait fourbi ses premières armes politiques notamment au PST où elle découvrit les idées de la gauche prolétaire. Engagée dans le militantisme politique et syndical, elle sera par la suite l’une des femmes les plus en vue dans le combat pour la cause féminine. Et c’est naturellement qu’elle sera désignée à la tête de l’association Tighri n Tmettut, par ailleurs très active dans la wilaya de Tizi Ouzou durant le début des années 1990. Auparavant, elle était membre fondatrice de l’Association pour l’émancipation de la femme (AEF).
C’est pour évoquer sa mémoire que sa sœur, Habiba Djahnine, qui est de passage à Montréal, a présenté son film Lettre à ma sœur, vendredi soir à la cinémathèque de Québec. Le film que la réalisatrice a mis cinq ans à produire évoque Nabila et son combat pour la cause des femmes dans un pays écrasé par le conservatisme politique et où la femme est considérée comme une mineure à vie, donc une sous-citoyenne. Dans une sorte de compte à rebours, la réalisatrice a refait le trajet Tizi Ouzou-Béjaïa, en apostrophant le corps inerte de Nabila dans le cercueil. Parcourant villes et villages, Habiba Djahnine donne la parole à tous ceux qui ont fréquenté sa fougueuse sœur.
Ces témoignages recueillis à travers la Kabylie reconstituent comme un puzzle le parcours d’une militante engagée parmi son peuple. Avec un regard dépouillé, le film de Djahnine, qui a quitté le pays 15 jours après l’assassinat de sa sœur, veut comme déconstruire des évidences. “À travers ce drame qui m’a touchée dans ma chair, je voulais relater la guerre civile, la guerre contre les civils, durant la décennie noire. Ce n’est pas du tout une enquête sur l’assassinat de Nabila. Je voulais simplement comprendre comment la machine de la mort s’était installée dans mon pays”, a déclaré Habiba Djahnine, avant d’arriver à la conclusion que le dialogue était finalement impossible dans un pays où la démocratie était pourtant en devenir. La réalisatrice voulait témoigner aussi sur une période où, malgré l’omniprésence de la mort, toutes les couches sociales s’étaient mobilisées contre le terrorisme. C’est cette résistance à la rupture du lien social qui a permis à l’Algérie de rester debout, au prix que l’on sait. Reste maintenant le travail de mémoire. La mémoire des martyrs de la démocratie à honorer. Ce à quoi invite le film Lettre à ma sœur qui commence par un chant épique qui raconte la mémoire de Nabila : “Ay ixf-iw rfed asefru” (Mon cœur improvise un poème).
Y. A