Par Il y a 47 minutes |
| Chérif Kheddam vient de s'éteindre dans un hôpital parisien.
C'est un pan de mon histoire et de celle de mon pays qui tombe en ruine. Il était ce que, incultes ou inintelligents appelleraient un vieux. Da Chérif était chargé d'années et de vécu. Il a connu l'immigration à l'époque des années de sang et de larmes. Il a été ouvrier à Renault. Il a été sans doute autre chose qu'usineur, parce que ce Monsieur qui vient de nous quitter et dont l'absence va nous tarauder pendant très longtemps a formé des générations d'artistes. Il me revient en mémoire cette histoire : dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, un vieil ami, Abdelkrim Djaâd, ancien patron de presse se présente pour assister à un concert de musique classique. Il y avait là, jouant dans l'antre du savoir et face à de futurs grands musiciens, Chérif Kheddam installé seul au fond de la salle. Abdelkrim s'est posé la question: que fait donc ce grand musicien, cet énorme chanteur, tout de même d'origine paysanne et ouvrière dans cette arène ? Il n'a compris que beaucoup plus tard que ce Monsieur portait en bandoulière son désir d'être et de dire. Et pourrons dire, Kheddam que je pleure aujourd'hui en a dit !
Il a été le porte-voix des militants du mouvement national dans les années cinquante, il a porté haut la parole des apprentis musiciens algériens, au temps où il dirigeait la chaîne II de la radio algérienne. Il a été aux avants-postes du combat pour la libération des femmes, notamment des mères. Jamais personne n'a avec autant de force chanté la misère, la famine.
Il s'est même évertué à mettre en rimes les bienfaits des nouvelles et hautes technologies. Chérif Kheddam, nonagénaire, notre grand-père ou père à tous a été lumineux. Tahar Djaout, le premier journaliste algérien assassiné par les terroristes intégristes (le GIA aujourd'hui absout par Bouteflika) s'était pâmé d'admiration devant ce qui est reconnu aujourd'hui par les spécialistes de la chanson algérienne comme étant la meilleure complainte amoureuse: le titre phare de Chérif Kheddam: A lemri (Ô miroir). Dans ce texte, pour les gens qui savent, Chérif Kheddam jaloux des miroirs parle à ce bout de vitre pour lui demander de refléter l'image de la femme aimée. Il fallait avoir un grand culot et de grandes ressources pour aller chercher cette image.
Le paradigme sémantique qui traverse l'œuvre de Chérif Kheddam est d'une immensité incroyable. Comme dirait l'autre, n'importe quel brillant esprit, Chérif Kheddam nous a quitté aujourd'hui le 23 janvier 2012 au crépuscule, il va laisser à coup sûr un vide qui ne sera pas comblé de sitôt. Les gens qui ont aimé V'gayet Talha le pleureront sûrement. Ceux qui aiment tous simplement la chanson algérienne le pleureront toujours. Da Chérif, ciao l'artiste et merci pour l'interminable tour de piste que tu nous a offert depuis soixante ans.
Meziane Ourad