mercredi 3 avril 2013

IDIR sur le journal "La Presse"


ALAIN BRUNET
La Presse
«Je n'ai pas fait de ce métier une vocation. Ce métier est venu à moi. Je l'ai accepté, je me suis résigné au succès qu'il m'a apporté. Je croyais que ce serait une aventure de quelques mois...», dit Hamid Ceryat alias Idir.
Son «aventure de quelques mois», en fait, dure depuis la sortie de l'album A Vava Inouva, dont la chanson titre fit le tour de la planète... en 1976! Fils de berger et de poétesse, élevé dans les monts du Djurdjura en haute Kabylie, le sexagénaire est une figure emblématique de la culture berbère moderne, distincte du monde arabe en Afrique du Nord. Devenu chantre national à l'époque des libérations nationales, Idir l'est peut-être moins aujourd'hui.
Comme tant de cultures minoritaires, la Kabylie a connu son éveil identitaire en Algérie. Et puisque le processus de cette affirmation est loin d'être terminé, que doit faire alors un artiste engagé sur le fleuve de son existence? Il répond en prenant l'exemple de sa prochaine destination:
«Imaginez un Québécois résistant et rebelle, qui combat quotidiennement pour que sa culture soit légitimée. À un moment, il lui faut passer à autre chose. Il lui faut se pencher vers sa culture, ce qui est un prolongement naturel. Une culture, ça se revendique mais ça se vit aussi. Il ne suffit pas de se définir.»
L'existence d'Idir, avons-nous saisi, ne se résume pas à sa carrière d'auteur-compositeur-interprète. Résidant en France depuis nombre d'année, il n'a jamais forcé la note.
«Je n'ai pas été particulièrement prolifique. Je sens le besoin de garder une distance, de raconter des choses qui me sont proches ou que j'ai vécues. Ces dernières années, par exemple, j'ai eu l'idée de faire deux albums concepts: Identités (1999) et La France des couleurs (2007) m'ont donné plus de visibilité, élargi mon public vers la jeunesse - de mon pays ou d'ailleurs. Ça m'a permis d'asseoir une sorte de notoriété. À partir de là, je pensais avoir tout dit, tout raconté sinon de répéter les mêmes sujets. Ça ne m'intéressait pas. Mais...»
Or, son public en redemandait et Idir devait encore un album à sa maison de disques (Columbia/Sony), d'où la sortie récente deNeveo.
«J'ai eu cette idée de replonger dans mon folklore kabyle et d'en revoir ma manière de swinguer les rythmes que j'ai étudiés point par point. Ainsi, j'ai utilisé les instruments traditionnels (bendir, ghaïta, kena, derbouka, tar, etc.) sur de nouvelles chansons. J'ai aussi repris un rythme gnawa (sud de l'Algérie) en y ajoutant une sorte de ragga afin de parler de ces musiques d'un Sud sous la tutelle des grandes puissances et qui s'imposent néanmoins dans le monde.»
Neveo rappelle aussi une ouverture au monde tangible en Afrique du Nord dans les années 60 et 70:
«Ensuite j'ai voulu montrer ce qui a fait vibrer ma jeunesse, mon adolescence. J'ai misScarborough Fair, air traditionnel anglais repris par la pop des années 60. Je n'ai pas parlé de la foire de Scarborough, j'ai plutôt «kabylisé» la chanson en parlant de mon identité.
«J'ai aussi repris la mélodie de la chanson Plaisir d'amour, mais j'y évoque un souvenir d'enfance dans une région pleine de légendes. Dans la noirceur sans électricité de mon village, je plongeais sous la couverture, de peur que l'ogre ne vienne me manger!
«Mon adaptation de l'Hymne à la joie de Beethoven est le résultat du hasard. J'avais un ami qui jouait de la ghaïta et avec qui je montais au grenier familial pour y faire de la musique. Une fois, l'Hymne à la joie m'est venu en tête pendant que je tapotais sur le bendir. Lui a reconnu un rythme traditionnel très ancien. Ne connaissant pas Beethoven, il a cru que la mélodie l'était aussi!»
Bien qu'il s'exprime dans un français impeccable, Idir chante surtout en langue kabyle. Comment s'y retrouver?
«Je mets à la disposition des gens un univers dans lequel ils viennent se ressourcer, vont selon leur propre sensibilité.  Je me suis rendu compte vite fait que quand on raconte sa propre histoire chacun trouve une tranche de la sienne. Au bout du compte, l'émotion est la même.»