ans un entretien à LIBERTÉ
Rencontré à Tunis en marge de la semaine de l’Algérie sur Nessma TV, Idir, un des géants de la chanson algérienne, nommé dans l’Hexagone la star de la World Music, a accepté de nous livrer ses appréciations et ses opinions sur la musique, le Printemps arabe, la question de tamazight ainsi que ses projets.
Liberté : Vous avez pris à la semaine “Tahya el Djazaïr” organisé par Nessma TV, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Quel est votre sentiment en ayant participé à cette manifestation ?
Idir : Je suis Algérien ! Je n’ai pas de pays de rechange ! Un pays propose de rendre hommage à mon pays, de célébrer son cinquantenaire, la moindre des choses est que j’accepte cette invitation. Ça fait marcher les choses un peu dans le bon sens, dans le sens de l’ouverture. Il y a encore beaucoup de choses à régler mais c’est un début.
Accepteriez-vous une éventuelle invitation officielle de l’État algérien à prendre part aux festivités qu’il compte organiser ?
Je ne pense pas accepter quand c’est officiel !
Pourquoi ?
L’Algérie a été indépendante au terme de 7 ans de lutte ; une indépendance arrachée de haute main par des gens qui ont sacrifié leurs vies. En 62, on s’acheminait avec le GPRA vers un régime de petit bourgeois, libéral puis ça devait être au peuple de décider mais des armes, des chars ont dévié alors qu’ils n’avaient pas la légitimité, ils se sont acheté la légalité sur laquelle ils se reposent et avec laquelle ils gouvernent ! Je ne dis pas qu’ils sont tous mauvais ! Il y a quand même des gens qui peuvent être intègres dont des commis de l’État et des officiers qui ont le sens du devoir national, mais je ne peux pas cautionner ! 50 ans de lutte qui vont être récupérées par le pouvoir que je sois pour ou contre eux ! Le problème n’est pas là ! Je suis un homme du peuple et je reste parmi le peuple ! Je pourrais fêter le 50e anniversaire mais en venant en toute liberté, loin de tout patronage parce que ça ne m’intéresse pas ! À ce moment-là, ça sera l’Algérie et moi, mais avec les Algériens en face. Mais dès lors qu’il y a un patronage, quelqu’un qui chapeaute et ce quelqu’un là, je lui dénie la légitimité pour le faire, comment veux-tu que je le fasse !
L’événement auquel vous prenez part aujourd’hui coïncide avec la célébration en Kabylie du Printemps berbère et du Printemps noir. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces événements, vous qui vivez en France ?
Là-bas, les choses ne se font pas avec la même cohérence ! Il y a une multitude de coins d’où tout le monde parle ; il y a des clans, des partis et des humeurs, alors au bout du compte je ne vois pas comment pouvoir faire unanimité autour de ce printemps. Je pense qu’il faut en amont nous réunir et former un pôle d’intérêt au même temps économique, politique, etc., quel que soit le bord auquel on appartient, puis après décider de faire ceci ou cela ! Tu sais, les exemples sont là : les Arméniens, les juifs qui mettent au- dessus de tout la notion d’identité et qu’après, un peu plus bas, que les gens soient de droite ou de gauche, nous on n’en est pas encore là ! Chacun croit détenir une vérité. Les jeunes tués en 2001 sont morts pour nous tous, alors c’est à nous tous de réagir, mais quand t’es un personnage public, caisse de résonnance, tu dis oui tu te retrouves déchiré entre des courants, des partis et des humeurs ! Il ne faut pas sacrifier la mémoire de ces jeunes morts pour ces choses-là !
L’Algérie a été épargnée par les révoltes qui ont soufflé sur le monde arabe. À votre avis pourquoi ?
Quel monde arabe ! Être arabe pour moi est étymologiquement un habitant de l’Arabie. Je suis arabophone mais je ne suis pas Arabe. Des tas de gens ont acquis la langue arabe sans être arabe pour autant ! Ce n’est pas parce qu’un Australien parle anglais au même titre qu’un Canadien qu’ils sont anglais. La langue ne fait pas l’origine. Donc quand on dit les pays arabes on a l’impression qu’on confine des gens dans une espèce de parcage et ils sont Arabes. On nous appelle les orientaux alors qu’on est plus à l’Ouest que beaucoup de pays occidentaux. Je ne veux plus cautionner ces choses. Je n’ai rien contre ; quand tu me dis le Maghreb, pourquoi tu mets Maghreb arabe ? Qu’est ce que je deviens, moi ? Et les juifs auxquels on a donné des nationalités tunisiennes, marocaines ? J’ai compris que nous avons, pas un ennemi, le mot est trop fort, mais un adversaire : il s’appelle l’arabisme. Ce n’est pas l’arabe, ni sa langue ni encore les identités qu’il véhicule, ce n’est pas ça, bien au contraire, moi j’écoute, j’aime, ya pas de souci, c’est que l’arabisme est une idéologie qui tend à mettre les gens dans un même moule et à couper tout ce qui le dépasse. C'est-à-dire qu’on veut faire de moi quelqu’un que je ne suis pas. Un pays appartient à ceux qui l’aiment et veulent le construire dans leur diversité et leurs différences. Je suis berbère de fait, parce que je suis le produit de mon père et de ma mère et comme ils sont en Kabylie, ma langue maternelle est donc le kabyle, je l’ai en moi et je n’ai pas été l’importer, c’est quelque chose d’inné. Aussi loin qu’on remonte dans le temps, les civilisations ont été là et moi je suis là. C’est aux autres d’apporter la preuve de ce qu’ils sont. Être arabophone est une chose et être Arabe est une autre chose. Alors autour de quoi on va faire une unanimité sur cette arabité ? Ce n’est pas la religion, parce que tu as des Bosniaques, des Chinois, des Iraniens, des Afghans et autres qui ne sont pas des Arabes mais qui sont musulmans. Sur le plan politique, je ne pense pas qu’on puisse allier un royaume à la chérifienne avec un régime rétrograde à la saoudienne ou un libéralisme à l’algérienne. Culturellement, je n’en parle même pas ! Si je n’étais pas sorti de mon village, je ne connaîtrais jamais l’arabe. Alors quand on dit Union du Maghreb arabe c’est l’union de quoi ? 22 pays arabes, 22 dictatures ! Depuis des siècles on n’a jamais essayé de faire un semblant d’unité. Ils doivent arrêter de nous bassiner avec des notions complètement fausses, parce qu’elles ne traduisent rien dans la réalité du Maroc, de l’Algérie ou autre.
Est-ce cette situation qui entrave l’épanouissement de tamazight ?
Si vous vous souvenez lorsqu’une fois le président actuel était venu à Tizi Ouzou, il nous dit qu’il faut qu’on fasse un référendum pour savoir si votre langue sera nationale, quant à ce qu’elle soit officielle, il ne faut même pas y compter. D’abord t’as vu les aises qu’il prend ! À quel titre d’abord ? Avec quelle légitimité qu’il peut trancher là-dedans ? Deuxièmement, moi j’ai un passeport algérien sur lequel il est mentionné que je suis de nationalité algérienne. Moi, tu me donnes ce côté national et ma langue tu lui dénies le droit d’être officielle ? Il y a un non sens ! Et en plus, il veut faire un référendum pour voir si cette langue est officielle ou pas. Ça veut dire que moi en tant qu’Algérien je dois aller demander la permission à un autre Algérien d’être moi-même ! C’est à lui d’aller chercher les preuves de son identité.
Pour revenir à la musique, depuis La France des couleurs, Idir n’a pas mis d’album sur le marché, peut-être des projets en cours ?
Si c’était le marché qui m’intéressait, j’aurais produit un album tous les ans ! Je n’ai que 4 albums, mais quand je n’ai rien à dire je préfère me taire ! à un moment donné, je me suis dit qu’est-ce que tu vas faire, quand tu as chanté la question berbère, ton pays, les traditions ? Que veux-tu que je rajoute ? Mais quand même, là je suis en plein enregistrement !
A comprendre qu’on aura à écouter bientôt un nouvel album d’Idir ?
Je l’espère ! Mais ces choses-là on sait quand on les commence mais jamais quand ça finit ! Surtout moi, je souffre énormément quand j’enregistre un disque ; parce que je suis toujours insatisfait, donc je change tout le temps les notes, les images… Cette fois mon album sera en solo. Charles Aznavour et Francis Cabrel voulaient qu’on enregistre ensemble quelque chose, mais je leur ai demandé de me laisser d’abord faire mes chansons, puis on verra.
Nombreux sont ceux qui jugent que la musique kabyle connaît un net recul ces dernières années, Idir partage-t-il ce constat ?
C’est vrai qu’il y a un recul ! Dans la mesure où la chanson qu’on a maintenant a réussi à mettre sur l’éteignoir la notion de producteur, d’arrangeur… C’est du fast-food ! Les chansons se suivent, se ressemblent, les textes sont aussi pauvres les uns que les autres. C’est toujours je t’aime mon amour, ben va l’aimer dans ton coin et laisse nous en paix ! Pourtant, aujourd’hui ils ont plus de moyens et en plus avec seulement un ordinateur. Donc, soit ils ont peur, soit ils sont incapables. Mais ceci dit, je ne désespère pas. Une bonne chanson peut venir à n’importe quel moment.
Parlons des chansons d’amour justement, Idir n’a jamais chanté l’amour, pourquoi ?
Peut-être que c’est parce que je n’ai jamais été amoureux ! (Rire) J’appartiens à une famille traditionnelle, donc y a des choses que je ne peux dire, et ça c’est le mauvais côté de la tradition.
Aujourd’hui, tout le monde admet que la Kabylie, votre région natale, est une région sinistrée. Idir est-il indifférent ?
Ça me fait beaucoup de peine ! Si on était monté dans ces montagnes-là ce n’était pas pour rien : c’était pour être à l’abri du danger et protéger les nôtres. Par courage, nous avons affronté la topographie très dure. Aujourd’hui, je pense que cette Kabylie a subi un préjudice qui a été prémédité depuis longtemps. Mais où est le courage des nôtres pour nous organiser et dire basta, et les pouvoirs sont là pour attiser encore et c’est pas moi qui l’invente : c’est depuis Alexandre Legrand, mais de toute façon nous sommes responsables d’une partie de ce qui nous arrive, parce que nous ne sommes pas obligés de tout accepter.
La chanson kabyle a perdu récemment un de ses monuments en la personne de Cherif Kheddam. Un mot sur lui…
Cherif Kheddam, c’est lui qui m’a mis sur les rails. C’était après le contact avec lui que j’ai fais un CD intitulé Aka idhelhala ufenan (c’est celle là la situation de l’artiste), puis il m’a pris un peu sous son aile et je ne pensais pas que j’allais chanter. Je voyais Cherif Kheddam travailler, c’était incroyable ! C’était lui qui m’a appris à lire et à écrire. C’est une grande perte. Quelqu’un comme lui, il faut tout un siècle pour le fabriquer. Même pour Belhanafi, lui c’était un puits de poésie populaire. Ça été une très grande perte lui aussi.
Vous êtes géologue de formation avant de devenir artiste, la transition était-elle difficile ?
C’est grâce à la géologie que j’ai appris la guitare.
En étant en formation, on sortait sur le terrain, et les coopérants techniques français avaient des guitares et c’était là que j’ai appris la musique moderne, les accords…
Ces derniers temps, l’on a remarqué dans vos albums un mélange de styles…
Dans Identité oui ! Mais La France des couleurs était un partage avec des jeunes qui sont venus me voir une fois à la maison de disques où je suis.
Au début j’avais dis non parce que le rap et le hip-hop qu’ils faisaient était à l’opposé de ce que je suis, mais ils ont réussi à me convaincre, et après y avait Zidane qui s’était impliqué et qui m’a encouragé, puis après quelques discussions on avait l’impression que le sujet était venu de lui-même. Et c’était une belle expérience. Avec eux j’ai appris la musique verticalement, puisque nous avant c’était horizontal.
Pensez-vous vous produire en Kabylie, là où tout le monde vous attend ?
Oui, pourquoi pas ! Mais que je vienne en toute liberté ! Je voulais le faire mais à chaque fois, il y a la gestion du côté technique qui pose problème. J’ai même envoyé des preneurs de son et ils m’ont donné tous la même réponse négative.
Vous avez chanté au Maroc et en Tunisie mais pas en Algérie. Pourquoi ?
C’est vrai, et ça me pose un vrai problème ! Quand je chante en Tunisie ou au Maroc, c’est dans le cadre de festivals où il y a déjà d’autres artistes, une intendance et une logistique sur place et j’aurais aimé aller en Algérie dans ce cadre-là. Sinon je meurs d’envie de le faire, c’est mon pays ! Ça fait mal, d’autant que des gens peuvent se dire que je ne veux pas. La ministre de la Culture m’a demandé de venir chanter dans le cadre d’“Alger, capitale de la culture arabe”, mais ça m’a gêné. Je n’ai rien contre la culture arabe mais que penseront les gens à Tizi Ouzou ?
On dit que vos enfants ne parlent pas tamazight, est-ce vrai ?
Si c’est vrai, est-ce que ça fait de moi quelqu’un de moins amazigh ? Si ce n’est pas vrai qu’est-ce que ça apporte ? Ils comprennent le kabyle, mais pour qu’il puisse le parler en France, l’école est en français, les amis c’est la même chose, la télé c’est en français, mais tout de même ma fille chante avec moi en kabyle.
Que préfère manger Idir ?
Du couscous avec du piment ! Et la galette traditionnelle.
Votre livre de chevet ?
Le livre de ma mère d’Albert Cohen.
Aimez-vous le football ?
Ah oui !
Un chanteur qui vous a marqué ?
C’est plus Aït Menguellet, Taleb Rabah, Cherif Kheddam, Chikh Arab Bouyezgarene, Ahcen Mezani, des gens liés à leurs chansons, ils chantent leur vie. J’aime aussi le châabi comme tous les Algériens.
Dans combien de langues a été traduite la chanson Vava ynouva ?
Dans 23 langues !
Liberté : Vous avez pris à la semaine “Tahya el Djazaïr” organisé par Nessma TV, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Quel est votre sentiment en ayant participé à cette manifestation ?
Idir : Je suis Algérien ! Je n’ai pas de pays de rechange ! Un pays propose de rendre hommage à mon pays, de célébrer son cinquantenaire, la moindre des choses est que j’accepte cette invitation. Ça fait marcher les choses un peu dans le bon sens, dans le sens de l’ouverture. Il y a encore beaucoup de choses à régler mais c’est un début.
Accepteriez-vous une éventuelle invitation officielle de l’État algérien à prendre part aux festivités qu’il compte organiser ?
Je ne pense pas accepter quand c’est officiel !
Pourquoi ?
L’Algérie a été indépendante au terme de 7 ans de lutte ; une indépendance arrachée de haute main par des gens qui ont sacrifié leurs vies. En 62, on s’acheminait avec le GPRA vers un régime de petit bourgeois, libéral puis ça devait être au peuple de décider mais des armes, des chars ont dévié alors qu’ils n’avaient pas la légitimité, ils se sont acheté la légalité sur laquelle ils se reposent et avec laquelle ils gouvernent ! Je ne dis pas qu’ils sont tous mauvais ! Il y a quand même des gens qui peuvent être intègres dont des commis de l’État et des officiers qui ont le sens du devoir national, mais je ne peux pas cautionner ! 50 ans de lutte qui vont être récupérées par le pouvoir que je sois pour ou contre eux ! Le problème n’est pas là ! Je suis un homme du peuple et je reste parmi le peuple ! Je pourrais fêter le 50e anniversaire mais en venant en toute liberté, loin de tout patronage parce que ça ne m’intéresse pas ! À ce moment-là, ça sera l’Algérie et moi, mais avec les Algériens en face. Mais dès lors qu’il y a un patronage, quelqu’un qui chapeaute et ce quelqu’un là, je lui dénie la légitimité pour le faire, comment veux-tu que je le fasse !
L’événement auquel vous prenez part aujourd’hui coïncide avec la célébration en Kabylie du Printemps berbère et du Printemps noir. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces événements, vous qui vivez en France ?
Là-bas, les choses ne se font pas avec la même cohérence ! Il y a une multitude de coins d’où tout le monde parle ; il y a des clans, des partis et des humeurs, alors au bout du compte je ne vois pas comment pouvoir faire unanimité autour de ce printemps. Je pense qu’il faut en amont nous réunir et former un pôle d’intérêt au même temps économique, politique, etc., quel que soit le bord auquel on appartient, puis après décider de faire ceci ou cela ! Tu sais, les exemples sont là : les Arméniens, les juifs qui mettent au- dessus de tout la notion d’identité et qu’après, un peu plus bas, que les gens soient de droite ou de gauche, nous on n’en est pas encore là ! Chacun croit détenir une vérité. Les jeunes tués en 2001 sont morts pour nous tous, alors c’est à nous tous de réagir, mais quand t’es un personnage public, caisse de résonnance, tu dis oui tu te retrouves déchiré entre des courants, des partis et des humeurs ! Il ne faut pas sacrifier la mémoire de ces jeunes morts pour ces choses-là !
L’Algérie a été épargnée par les révoltes qui ont soufflé sur le monde arabe. À votre avis pourquoi ?
Quel monde arabe ! Être arabe pour moi est étymologiquement un habitant de l’Arabie. Je suis arabophone mais je ne suis pas Arabe. Des tas de gens ont acquis la langue arabe sans être arabe pour autant ! Ce n’est pas parce qu’un Australien parle anglais au même titre qu’un Canadien qu’ils sont anglais. La langue ne fait pas l’origine. Donc quand on dit les pays arabes on a l’impression qu’on confine des gens dans une espèce de parcage et ils sont Arabes. On nous appelle les orientaux alors qu’on est plus à l’Ouest que beaucoup de pays occidentaux. Je ne veux plus cautionner ces choses. Je n’ai rien contre ; quand tu me dis le Maghreb, pourquoi tu mets Maghreb arabe ? Qu’est ce que je deviens, moi ? Et les juifs auxquels on a donné des nationalités tunisiennes, marocaines ? J’ai compris que nous avons, pas un ennemi, le mot est trop fort, mais un adversaire : il s’appelle l’arabisme. Ce n’est pas l’arabe, ni sa langue ni encore les identités qu’il véhicule, ce n’est pas ça, bien au contraire, moi j’écoute, j’aime, ya pas de souci, c’est que l’arabisme est une idéologie qui tend à mettre les gens dans un même moule et à couper tout ce qui le dépasse. C'est-à-dire qu’on veut faire de moi quelqu’un que je ne suis pas. Un pays appartient à ceux qui l’aiment et veulent le construire dans leur diversité et leurs différences. Je suis berbère de fait, parce que je suis le produit de mon père et de ma mère et comme ils sont en Kabylie, ma langue maternelle est donc le kabyle, je l’ai en moi et je n’ai pas été l’importer, c’est quelque chose d’inné. Aussi loin qu’on remonte dans le temps, les civilisations ont été là et moi je suis là. C’est aux autres d’apporter la preuve de ce qu’ils sont. Être arabophone est une chose et être Arabe est une autre chose. Alors autour de quoi on va faire une unanimité sur cette arabité ? Ce n’est pas la religion, parce que tu as des Bosniaques, des Chinois, des Iraniens, des Afghans et autres qui ne sont pas des Arabes mais qui sont musulmans. Sur le plan politique, je ne pense pas qu’on puisse allier un royaume à la chérifienne avec un régime rétrograde à la saoudienne ou un libéralisme à l’algérienne. Culturellement, je n’en parle même pas ! Si je n’étais pas sorti de mon village, je ne connaîtrais jamais l’arabe. Alors quand on dit Union du Maghreb arabe c’est l’union de quoi ? 22 pays arabes, 22 dictatures ! Depuis des siècles on n’a jamais essayé de faire un semblant d’unité. Ils doivent arrêter de nous bassiner avec des notions complètement fausses, parce qu’elles ne traduisent rien dans la réalité du Maroc, de l’Algérie ou autre.
Est-ce cette situation qui entrave l’épanouissement de tamazight ?
Si vous vous souvenez lorsqu’une fois le président actuel était venu à Tizi Ouzou, il nous dit qu’il faut qu’on fasse un référendum pour savoir si votre langue sera nationale, quant à ce qu’elle soit officielle, il ne faut même pas y compter. D’abord t’as vu les aises qu’il prend ! À quel titre d’abord ? Avec quelle légitimité qu’il peut trancher là-dedans ? Deuxièmement, moi j’ai un passeport algérien sur lequel il est mentionné que je suis de nationalité algérienne. Moi, tu me donnes ce côté national et ma langue tu lui dénies le droit d’être officielle ? Il y a un non sens ! Et en plus, il veut faire un référendum pour voir si cette langue est officielle ou pas. Ça veut dire que moi en tant qu’Algérien je dois aller demander la permission à un autre Algérien d’être moi-même ! C’est à lui d’aller chercher les preuves de son identité.
Pour revenir à la musique, depuis La France des couleurs, Idir n’a pas mis d’album sur le marché, peut-être des projets en cours ?
Si c’était le marché qui m’intéressait, j’aurais produit un album tous les ans ! Je n’ai que 4 albums, mais quand je n’ai rien à dire je préfère me taire ! à un moment donné, je me suis dit qu’est-ce que tu vas faire, quand tu as chanté la question berbère, ton pays, les traditions ? Que veux-tu que je rajoute ? Mais quand même, là je suis en plein enregistrement !
A comprendre qu’on aura à écouter bientôt un nouvel album d’Idir ?
Je l’espère ! Mais ces choses-là on sait quand on les commence mais jamais quand ça finit ! Surtout moi, je souffre énormément quand j’enregistre un disque ; parce que je suis toujours insatisfait, donc je change tout le temps les notes, les images… Cette fois mon album sera en solo. Charles Aznavour et Francis Cabrel voulaient qu’on enregistre ensemble quelque chose, mais je leur ai demandé de me laisser d’abord faire mes chansons, puis on verra.
Nombreux sont ceux qui jugent que la musique kabyle connaît un net recul ces dernières années, Idir partage-t-il ce constat ?
C’est vrai qu’il y a un recul ! Dans la mesure où la chanson qu’on a maintenant a réussi à mettre sur l’éteignoir la notion de producteur, d’arrangeur… C’est du fast-food ! Les chansons se suivent, se ressemblent, les textes sont aussi pauvres les uns que les autres. C’est toujours je t’aime mon amour, ben va l’aimer dans ton coin et laisse nous en paix ! Pourtant, aujourd’hui ils ont plus de moyens et en plus avec seulement un ordinateur. Donc, soit ils ont peur, soit ils sont incapables. Mais ceci dit, je ne désespère pas. Une bonne chanson peut venir à n’importe quel moment.
Parlons des chansons d’amour justement, Idir n’a jamais chanté l’amour, pourquoi ?
Peut-être que c’est parce que je n’ai jamais été amoureux ! (Rire) J’appartiens à une famille traditionnelle, donc y a des choses que je ne peux dire, et ça c’est le mauvais côté de la tradition.
Aujourd’hui, tout le monde admet que la Kabylie, votre région natale, est une région sinistrée. Idir est-il indifférent ?
Ça me fait beaucoup de peine ! Si on était monté dans ces montagnes-là ce n’était pas pour rien : c’était pour être à l’abri du danger et protéger les nôtres. Par courage, nous avons affronté la topographie très dure. Aujourd’hui, je pense que cette Kabylie a subi un préjudice qui a été prémédité depuis longtemps. Mais où est le courage des nôtres pour nous organiser et dire basta, et les pouvoirs sont là pour attiser encore et c’est pas moi qui l’invente : c’est depuis Alexandre Legrand, mais de toute façon nous sommes responsables d’une partie de ce qui nous arrive, parce que nous ne sommes pas obligés de tout accepter.
La chanson kabyle a perdu récemment un de ses monuments en la personne de Cherif Kheddam. Un mot sur lui…
Cherif Kheddam, c’est lui qui m’a mis sur les rails. C’était après le contact avec lui que j’ai fais un CD intitulé Aka idhelhala ufenan (c’est celle là la situation de l’artiste), puis il m’a pris un peu sous son aile et je ne pensais pas que j’allais chanter. Je voyais Cherif Kheddam travailler, c’était incroyable ! C’était lui qui m’a appris à lire et à écrire. C’est une grande perte. Quelqu’un comme lui, il faut tout un siècle pour le fabriquer. Même pour Belhanafi, lui c’était un puits de poésie populaire. Ça été une très grande perte lui aussi.
Vous êtes géologue de formation avant de devenir artiste, la transition était-elle difficile ?
C’est grâce à la géologie que j’ai appris la guitare.
En étant en formation, on sortait sur le terrain, et les coopérants techniques français avaient des guitares et c’était là que j’ai appris la musique moderne, les accords…
Ces derniers temps, l’on a remarqué dans vos albums un mélange de styles…
Dans Identité oui ! Mais La France des couleurs était un partage avec des jeunes qui sont venus me voir une fois à la maison de disques où je suis.
Au début j’avais dis non parce que le rap et le hip-hop qu’ils faisaient était à l’opposé de ce que je suis, mais ils ont réussi à me convaincre, et après y avait Zidane qui s’était impliqué et qui m’a encouragé, puis après quelques discussions on avait l’impression que le sujet était venu de lui-même. Et c’était une belle expérience. Avec eux j’ai appris la musique verticalement, puisque nous avant c’était horizontal.
Pensez-vous vous produire en Kabylie, là où tout le monde vous attend ?
Oui, pourquoi pas ! Mais que je vienne en toute liberté ! Je voulais le faire mais à chaque fois, il y a la gestion du côté technique qui pose problème. J’ai même envoyé des preneurs de son et ils m’ont donné tous la même réponse négative.
Vous avez chanté au Maroc et en Tunisie mais pas en Algérie. Pourquoi ?
C’est vrai, et ça me pose un vrai problème ! Quand je chante en Tunisie ou au Maroc, c’est dans le cadre de festivals où il y a déjà d’autres artistes, une intendance et une logistique sur place et j’aurais aimé aller en Algérie dans ce cadre-là. Sinon je meurs d’envie de le faire, c’est mon pays ! Ça fait mal, d’autant que des gens peuvent se dire que je ne veux pas. La ministre de la Culture m’a demandé de venir chanter dans le cadre d’“Alger, capitale de la culture arabe”, mais ça m’a gêné. Je n’ai rien contre la culture arabe mais que penseront les gens à Tizi Ouzou ?
On dit que vos enfants ne parlent pas tamazight, est-ce vrai ?
Si c’est vrai, est-ce que ça fait de moi quelqu’un de moins amazigh ? Si ce n’est pas vrai qu’est-ce que ça apporte ? Ils comprennent le kabyle, mais pour qu’il puisse le parler en France, l’école est en français, les amis c’est la même chose, la télé c’est en français, mais tout de même ma fille chante avec moi en kabyle.
Que préfère manger Idir ?
Du couscous avec du piment ! Et la galette traditionnelle.
Votre livre de chevet ?
Le livre de ma mère d’Albert Cohen.
Aimez-vous le football ?
Ah oui !
Un chanteur qui vous a marqué ?
C’est plus Aït Menguellet, Taleb Rabah, Cherif Kheddam, Chikh Arab Bouyezgarene, Ahcen Mezani, des gens liés à leurs chansons, ils chantent leur vie. J’aime aussi le châabi comme tous les Algériens.
Dans combien de langues a été traduite la chanson Vava ynouva ?
Dans 23 langues !