La tristesse régnait hier lors du recueillement sur la dépouille de l’auteur-compositeur et interprète algérien Cherif Kheddam, au funérarium du Père La Chaise à Paris. Il est décédé lundi dernier dans un hôpital parisien à l’âge de 85 ans.
Paris.
De notre correspondant
Un grand nombre d’artistes, des amis et des admirateurs sont venus rendre un dernier hommage à l’artiste qui a laissé une œuvre musicale immense, de laquelle pourront puiser les générations futures. L’émotion était à son comble.
La chanteuse Karima, qui a fait de nombreux duos avec le regretté Cherif Kheddam, avait du mal à contenir ses larmes. Elle dit éprouver depuis lundi une indescriptible tristesse. «Je ne parlerai jamais de Cherif Kheddam au passé, car pour moi il est toujours présent et toujours vivant, a-t-elle déclaré. Je l’ai côtoyé de très près. J’ai passé une vie avec lui. C’est comme si j’avais perdu une personne de mon sang, un père ou un frère.
Je ne veux pas parler de Cherif en tant qu’artiste, car dans ce domaine, tout le monde reconnaît sa valeur et son talent, mais en tant qu’homme tout simplement. Il était aimé de tous, de ses enfants et ses petits-enfants.» Et d’ajouter : «Cherif Kheddam était un homme courageux. Je lui demandais souvent de me livrer le secret de sa patience et de son calme. Mais il est parti en l’emportant avec lui.» Accablée par le chagrin et révoltée par la solitude dans laquelle se retrouvent les artistes algériens, Karima s’est demandé «si un jour les artistes algériens ne devaient pas organiser leur propre mort pour attirer l’attention des pouvoirs publics algériens et des responsables de la culture ?»
Consterné par la disparition de l’auteur de la célèbre chanson Bgayeth thelha (Bougie est belle), le président de l’Association des artistes algériens en Europe, a sévèrement critiqué la politique de la ministre de la Culture, Khalida Toumi. Il l’accuse de s’empresser, à chaque fois, de rendre hommage aux artistes décédés, mais ne fait rien lorsqu’ils sont en vie. «Il (Cherif Kheddam, ndlr) n’a pas besoin de Khalida Toumi. Celle-ci devait lui donner les moyens pour transmettre son savoir aux autres et créer des écoles de musique pour les jeunes.» Or, rien de tout cela n’a été fait, qui affirme que cinquante ans après l’indépendance, les artistes algériens n’ont toujours pas de statut et vivent dans un total dénuement.
«Comment se fait-il que Cherif Kheddam percevait seulement 2000 DA en guise de droits d’auteur au moment où des bureaucrates de la radio et de la télévision, qui n’ont rien apporté à la culture algérienne, empochent des millions et bénéficient de tous les privilèges ?» s’emporte-t-il. Et de citer par exemple le cas d’un chanteur Oukil Amar «jeté» depuis des mois dans un hôpital de la banlieue parisienne, dans une totale solitude et sans que personne n’aille le voir. En réalité, juge-t-il, la ministre algérienne de la Culture est «contre l’Association des artistes algériens en Europe». De son côté et bien qu’il ne l’ait pas bien connu, Ben Mohamed, poète algérien de talent et auteur de la chanson d’Idir Avava Inouva, a salué la démarche artistique atypique de Cherif Kheddam. «Il a d’abord fréquenté l’école coranique puis intégré le monde ouvrier, notamment en France, avant de découvrir la musique universelle», explique Ben Mohamed qui se souvient de son dernier spectacle à la coupole du 5 Juillet.
«un génie musical comme la kabylie n’en a jamais eu»
«Ce jour-là, dit-il, Cherif Kheddam a fait chanter sa fille avec lui, ce qui n’est pas courant pour un croyant», admet le poète. Pour Ferhat Mhenni, il n’y a pas de doute : Cherif Kheddam est un génie musical comme la Kabylie n’en a jamais eu. C’est lui qui a introduit l’orchestre symphonique dans la chanson kabyle et malaxé le patrimoine musical kabyle avec la musique universelle. «C’était un homme méticuleux dans son travail. Il ne laissait jamais passer la moindre fausse note. Ses compositions sont variées et datées», explique le président du MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie), visiblement très ému par la disparition d’un monument de la chanson kabyle. «C’est l’homme en qui je me suis toujours reconnu, que ce soit dans le travail ou dans les valeurs artistiques. J’ai l’impression de perdre un frère ou un père, même si je le savais souffrant et malade.
J’espère que la Kabylie saura lui rendre l’hommage qu’il mérite.» Pour Rabah Khalfa, musicien percussionniste ayant assuré de nombreux concerts avec Cherif Kheddam, la mort de ce dernier est une mauvaise nouvelle pour la culture algérienne. «J’ai passé ma vie avec lui. Je me souviens, tout petit, il me raccompagnait à bord de sa 2CV du siège de la Radio jusqu’à la maison. J’ai fait avec lui beaucoup de spectacles. Sur scène, c’est un très grand compositeur et un vrai chanteur.» Idem aussi pour Brahim Saci, qui estime qu’après le défunt Slimane Azem, c’est Chérif Kheddam qui a marqué le XXe siècle par ses compositions chez les artistes kabyles.