dimanche 16 octobre 2011

«Je préfère les auditoires restreints» MOURAD ZIMU SE CONFIE À EL-WATAN



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Zimu : «Je préfère les auditoires restreints»
le 16.10.11 01h00 1 réaction



Mourad Zimu est un artiste discret mais qui s’est vite frayé un chemin dans le paysage de la musique kabyle. Il s’est imposé avec une nouvelle touche et un style propre à lui. C’est un «chanteur aux chansons légères, mais lourdes de sens», disait de lui le grand maître de la chanson kabyle, Lounis Aït Menguellet.

Mourad Zimu a plusieurs cordes à son arc. En plus de la chanson, il est également auteur de deux recueils de nouvelles en tamazight, Tikli en 2004, et Amdakel en 2011. Il a aussi été producteur et animateur durant 4 années à la Chaîne II. Titulaire d’une licence en sociologie, et d’un magistère en langue et culture amazighes, il vit actuellement en France pour poursuivre des études doctorales en sociologie. Cet artiste aux multiples talents compte à son actif quatre albums. Ijejigen n tsusmi (les fleurs du silence), Salupri, Maâlich (Tant pis) et Apipri kan sorti en 2007. Mourad Zimu nous apprend, dans cet entretien, que son nouvel album intitulé Nnaqus est enfin prêt et sortira prochainement.

- Pouvez-vous nous parler de vos premiers pas dans la chanson ?

J’ai joué mes premières notes sur une guitare Gianini toute neuve achetée par mon frère Mohwelhadj. J’ai débuté tout seul, puis j’ai animé des minisoirées dans les chambres universitaires avec des potes. J’ai aussi adoré jouer dans les halls d’escalier et dans les douches des cités universitaires d’Alger et de Tizi Ouzou. La résonance de ces lieux était formidable. J’ai tout de suite composé des chansons, là, par contre, je ne sais pas pourquoi j’ai eu ce reflexe. Ensuite, j’ai proposé ces chansons à mon entourage qui m’a encouragé à les partager avec un plus grand nombre de personnes. Mais le problème, c’est qu’il fallait devenir «chanteur» pour partager ce que je faisais. Alors que l’idée de devenir chanteur avec un look, des cheveux, des posters, des chemises ou des tee-shirts bizarres ne m’a jamais séduit. Sans parler de ce que peut exiger ce métier en investissement sur le plan financier, humain et surtout émotionnel. Ce qui explique mon entrée tardive sur la scène : Un album mort-né en 1996 Ijejigen n tsusmi (les fleurs du silence) puis mon deuxième album Salupri édité en 2001.

- A quel genre de musique peut-on classer la nouvelle touche que vous avez apportée à la chanson kabyle ?

Je ne sais pas trop. Tu sais, dans les autres cultures, c’est aux critiques et aux analystes de classer les producteurs dans les domaines artistiques et littéraires, mais chez nous, l’artiste n’a que les échos de la rue. Les gens, quand ils arrivent à reconnaître quelques sons d’arpèges et de guitare, me disent que c’est «un peu» du Si Moh, et ça me plaît de ressembler à ce grand monsieur de la chanson kabyle. Moi, avec un peu de prétention, je m’amuse à me classer dans la nouvelle chanson kabyle à textes. Je sais de plus en plus quand une chanson ou un texte est plus ou moins «à la Zimu». Je suis flatté de voir de nouveaux jeunes talents me dire que Zimu les inspire.

- L’amitié est le terme qui revient souvent dans vos œuvres, avez-vous quelque appréhension quant au risque de voir cette valeur disparaître des mœurs de la société en général et kabyle en particulier ?

Au contraire, je crois que c’est ce qui a résisté au déluge qui a emporté et qui continue à drainer avec lui toutes nos valeurs. Nous étions des groupes d’amis à l’université d’Alger et de Tizi, et notre amitié a résisté au multipartisme (ça ne veut pas dire que le multipartisme est mauvais). On est resté des amis, alors que le politique nous sépare ; on avait soif de liberté, on s’est retrouvé logiquement dans des partis comme le FFS, RCD, PST et PT. Notre amitié a résisté au vent du «khobsisme» qui a soufflé sur notre génération à la sortie de l’université. Et maintenant encore, notre amitié résiste à l’ouragan de l’exil qui souffle sur notre région. Nous sommes restés en contact avec les amis sur les réseaux sociaux grâce à Internet.

- Si je peux me permettre, que fait d’autre Zimu en dehors de la chanson kabyle et de la musique en général ?

La musique et la chanson ne représentent qu’une petite facette de ma vie. Mon intérêt pour la chanson et la musique en général commence à diminuer de jour en jour, même si j’écris et je compose des chansons toujours. En dehors de la chanson, j’essaie d’être un bon fils, un bon père, un bon mari, un bon frère, un bon ami, un bon citoyen et un bon employé. Tu vois donc, je ne chôme pas, il y a tellement de choses à faire pour réussir tout cela et être assez bon partout.

- Comme tout chanteur, en tous styles, a son public, pourrez-vous un jour faire le pas de revoir le vôtre en lui organisant quelques galas ?

Je sais qu’il faut le faire un jour mais quand ? Où et comment ? J’évite de me poser ces questions sans réponse. J’aurais aimé pouvoir faire des galas pour une cinquantaine de personnes pas plus, uniquement avec ma guitare et ma voix, il y aurait peut-être un autre ami à la guitare ou au piano ou même au vocal, mais je ne sais pas si c’est possible. Des sortes de piano-bar offrent ça ailleurs mais je ne sais pas si c’est faisable actuellement chez nous.

- Reformulée autrement, ma question est : si nos institutions culturelles vous proposaient d’animer quelques galas pour ce public, répondrez-vous favorablement ?

Ça va dépendre de la provenance de l’invitation, des conditions du spectacle aussi. Je ne pourrais pas chanter en plein air, par exemple, pour des centaines de personnes réunies dans des stades sous un soleil de plomb. Je ne pourrais pas chanter sur une scène ornée de posters d’hommes politiques. Comme je vous l’ai dit avant, je préfère chanter pour une poignée d’auditeurs qui savent à quoi s’attendre avec moi, une petite salle ou une sorte de petit théâtre, les gens doivent être assis confortablement. Une sorte de soirée conviviale pour écouter des chansons, je pourrais même des fois me permettre de lire le texte d’une chanson avant de la chanter, j’essaierai de parler de sa composition. Je pourrais chanter des chansons qui ne sont pas miennes…

- Comptez-vous un jour composer des œuvres en d’autres langues que le kabyle (traduire par exemple celles déjà existantes en kabyle pour toucher un public encore plus large) ?

Sincèrement non. Les autres langues sont bien protégées et ne manquent pas de chanteurs, et entre nous, que puis-je apporter de plus à une langue qui a la chance de véhiculer les chansons de Brassens, Brel ou Renaud etc. Je suis entièrement satisfait de produire dans ma bonne vieille langue maternelle. A chaque fois que je termine l’écriture d’un vers ou d’une chanson, j’ai le sentiment d’avoir accompli un miracle, d’avoir servi à quelque chose, d’être enfin utile. Les moments que je passe à écrire et composer dans ma langue sont des moments que j’arrache à la vie ordinaire avec toute la monotonie qu’inspire cette expression aux Algériens.

- Avez-vous quelque chose sur le cœur que vous voudrez émettre à votre public et que vous n’avez pas pu lui dire jusqu’ici ?

Juste des remerciements pour ceux qui m’encouragent à continuer. J’ai envie d’adresser un message aux jeunes. Je leur demande d’être positifs. Ecrivez dans votre langue, regroupez-vous en collectifs culturels dans vos villages, montez des troupes de théâtres et des groupes de musique ou faites des actions de volontariat pour protéger notre environnement. Vous avez des différences quand vous débattez politique, mais à la fin vous êtes intelligents puisque vous savez être solidaires pour la bonne cause.

Achour Hocine