lundi 17 octobre 2011

ENTREVUE DE IDIR À LA DÉPÊCHE DE KABYLIE

A travers cet entretien, Idir (Hamid Cheriet de son vrai nom) aborde, en exclusivité avec notre reporter, divers sujets de son actualité, notamment son nouvel album en chantier. Il parle aussi de l’année de l’Algérie en France, de Alger capitale de la culture arabe, du festival panafricain auxquels il a refusé de prendre part tout en réitérant sa disponibilité pour une éventuelle tournée en Algérie. Comme il répond à d’autres questions plus intimes avec des détails croustillants, tel ce message de condoléances reçu de Bouteflika, lors du récent décès de son frère.

Entretien réalisé à Paris par Djaffar Chilab

La Dépêche de Kabylie : Avec le recul, quelle appréciation faites-vous de votre dernière oeuvre, la France des couleurs ?



Idir : Déjà, commercialement il a été disque d’Or. Sur un autre plan, il y a plusieurs associations qui ont envi de donner le nom de « La France des couleurs » à leurs collectifs. Il y en a au moins sept qui ont pris attache avec nous, et que j’ai accepté de parrainer ici en France. Elles ne sont pas basées toutes spécialement à Paris puisqu’il y en a qui activent à Marseille, une autre à Metz, en Bretagne aussi… Donc vous voyez, je dirais que le concept a pu toucher des sensibilités un peu partout à travers la France. Et je me dis alors que c’est une idée qui a fait son chemin. Mais comme je l’ai dis, je tiens à préciser que ce n’est pas là la réussite d’un disque propre à Idir, mais c’est la réussite d’un concept. Car je vais vous faire une confidence, il y a des titres que peut-être je ne ferais pas si je devais les faire seul dans un disque exclusivement à moi. Mais comme il fallait rester fidèle à l’idée que le concept voulait transmettre, alors il fallait faire l’effort et admettre que tout le monde s’exprime dans son langage et ses opinions. Par exemple, j’ai émis des réserves qu’on évoque le nom de Sarkozy. J’aurai préféré ne nommer personne. L’esprit était de donner une image positive de la France multiculture et multiraciale, et non pour descendre tel ou intel. Si j’avais admis aux jeunes d’attaquer Sarkozy, cela veut dire que ça aurait été un disque contre Sarkozy alors qu’il ne devait être ni pour ni contre. Il est ce qu’il est et libre aux uns de l’apprécier et aux autres de le rejeter ou de le critiquer… Maintenant, le constat est là, la diversité ce n’est plus un tabou, tout le monde en parle même. On s’en réjouit.

Avec le recul, vous pensez toujours qu’il n’y a pas de négatif dans l’entreprise ?

Du négatif, non. De toutes les façons, si je devais refaire quelque chose là dedans ça ne pourrait être que de ce que j’ai fait moi-même, car je ne pourrai changer l’apport de l’autre car le principe c’est d’accepter cette différence de l’un de l’autre… Je ne pourrais remettre en question ce que l’autre me dirait. Comme il m’accepte tel que je suis, à moi de l’accepter également tel qu’il est. Rien ne me choque dans la défense de la France des couleurs de manière générale, sauf peut-être certains langages, et encore, c’est la démocratie, donc libre à chacun de dire ce qu’il veut de « sa » France des couleurs.

Avez-vous conscience que vos autres admirateurs au pays en Kabylie notamment se sentent quelque peu frustrés par ce dernier produit dont ils ne se sentent pas compter, ni exister ?

C’est possible, mais les réalités d’ici sont aussi importantes, et à ne pas négliger. Et je me considère un peu loin des attentes du public d’Algérie, et la honte de me tromper m’habite car je ne vis pas les mêmes réalités qu’eux. Voilà pourquoi je considère que c’est indécent de ma part de prétendre les représenter. Cela chaque chose en son temps. Je vis en France, je suis dans une boîte de disques, et il y a eu cette occasion de monter la France des couleurs, je n’ai pas dit non, comme il y aura l’opportunité de monter mon propre CD à moi et là ça sera entre moi et mon public. C’est tout ça un artiste, il a un chemin qu’il suit, des choses l’interpellent, d’autres un peu moins. Dans la musique kabyle, je vois qu’il y a de la production, la musique est en train, je ne dirais pas d’évoluer mais de se transformer. Les arrangements deviennent de plus en plus percutants, il y a le cuivre, la guitare n’est plus dominante. C’est sûr que tout n’est pas beau, mais tôt ou tard la décantation se fera d’elle-même.

Vous le faites sans doute par modestie, mais vous ramenez votre popularité en Algérie à celle d’un artiste apprécié alors vous représentez bien plus que cela notamment pour les Kabyles…

C’est clair que quand il y a une attente il faut y répondre et à ce moment là il faut accepter une lourde responsabilité. J’en suis conscient c’est sûr, mais moi je ne me suis jamais tracé de chemin pour prévoir que cette année par exemple je fais ça, à 13h15 j’ai ça, demain je ferais cela,… franchement je me laisse aller là je trouve beaucoup d’espace, de temps pour réfléchir…

Mais il y a au moins l’album qui a été annoncé, si l’on restait dans les projections artistiques…

Certes, et c’était bien avant la France des couleurs. Mais entre-temps les chansons que j’avais préparées me paraissent quelque peu désuètes. Mais le chantier de rénovation, si j’ose dire ainsi, est en cours.

Vous pouvez nous en dire un peu plus ?

ça sera des chansons faites en kabyle.

C’est tout ?

Mais je risque de dire des choses sur lesquelles je pourrais changer d’avis, d’autres qui ne pourront peut-être se réaliser… Mais sachez qu’un duo avec Francis Cabrel est au menu.

Et vous chanterez un titre qui portera sur ?

J’ai voulu que ça soit un titre qui se penchera sur les gens du Sud. Il en est un et moi également. Le sujet traiterait sur toutes ces choses qui nous unissent, qu’on partage en dehors du beau soleil. ça portera sur bien sûr des trucs historiques, ça ne sera pas du genre, je l’aime et elle m’aime…


Et pour les autres titres ?

Eh bien il y aura des chansons quelque peu rythmées parce qu’il en faut. J’ai surtout envie de réhabiliter les rythmes de notre folklore à leurs versions originales. Comme ils en résultent des instruments du tbel et du bendir. Il y en a beaucoup qui ont été détériorés et déviés par les instruments citadins qui ont été introduits.

Donc on s’attendra à retrouver d’anciens airs du terroir ?

Pourquoi pas et in réinventer d’autres. Vous savez quand on naît et grandit dans le folklore ça ne peut que couler de sources.

Peut-on dire de ce futur album que ça sera celui par lequel passera la réhabilitation du folklore kabyle ?

Disons que ça sera un essai mais pas uniquement. Tous mes disques sont des expériences, ce sont contes, c’est du travail acoustique…

Et ça sera combien de titres ?

Douze ou treize chansons. Il y a un titre qui me tient particulièrement à cœur c’est Ur Tegadh, Ur Tayess (N’ayez peur et ne perdez espoir). C'est-à-dire que quelles que soient les difficultés que tu affrontes, il y a toujours une issue quelque part. Il y a toujours un moyen pour s’en sortir, de se libérer, il y a toujours quelqu’un pour vous quelque part…

Vous prévoyez la sortie de l’album pour quand ?

Le 29 mai à 17h45mn32s…(rire !) Franchement, je ne peux rien dire sur ce point d’autant plus que ça ne dépend pas que de moi. Il y a aussi la boîte qui me prend en charge…

Mais il y a la faisabilité de la chose. Vous comptez terminer le travail quand ? ça va être bouclé cette année ?

Sachez qu’on a bien avancé dans les arrangements et mon souhait c’est qu’il sorte le plus tôt possible. Dans ma tête, j’espère que ça se fera avant la fin de cette année 2009.

Une tournée en Algérie, c’est toujours un projet pour vous ?

Disons que c’est un vœu qui est en moi depuis 30 ans. Dans ma tête ça n’arrête pas de… tourner d’ailleurs. ça serait bien d’y aller avec quelques artistes de la France des couleurs. Même Maxime Le Forestier m’a dit je viens avec toi si tu m’emmènes.

Y a-t-il eu des touches, des indices, du répondant qui vous rendrez plus optimiste ?

Des contacts il y en a eu et ils ont été plusieurs, mais… J’ai par exemple été touché pour une éventuelle participation aux manifestations de Alger capitale de la culture arabe. Mais pour moi ce n’était ni le lieu ni l’occasion pour dire oui. Si on m’avait invité pour le même motif qui serait célébré par exemple aux Emirats, j’aurai pu y aller. A la limite, à Alger, j’aurais pu assister mais pas plus car il ne faut pas perdre de vue tout ce qui entourait cette manifestation. C’est pour ça que je disais tout à l’heure, malgré les attentes dont je suis conscient, je ne programme rien et je prends les choses comme je les conçois dans mon for intérieur avec mon éducation, mes principes, mes convictions, mais aussi avec ma tolérance pour honorer mon père, mes ancêtres et mon histoire. Je suis comme ça. Au jour d’aujourd’hui, les choses de la vie changent, les mentalités évoluent mais malheureusement pas toujours dans le bon sens, mais ce n’est pas moi qui vais me taire ou aller dans un autre sens que celui qui a toujours été le mien. J’ai été aussi sollicité pour participer au festival panafricain, kif-kif. Heureusement d’ailleurs que nous serons en tournée ailleurs.

Peut-on savoir quelle est l’origine de ces contacts ?

Ce fut par l’intermédiaire de ma boîte et ça devait être le ministère. Cela dit, il ne faut pas comprendre que je suis un opposant direct ou un chantre révolutionnaire, ce n’est pas mon problème. Ceux qui sont au pouvoir, ils valent ce qu’ils valent, et quand j’ai des choses à dire je ne m’en prive pas mais ce n’est pas une raison pour en faire des ennemis systématiques. D’ailleurs, lors de la récente mort de mon frère, Bouteflika nous a transmis ses condoléances. Et c’est un geste qu’on a apprécié à sa valeur. C’est gentil de sa part. Je le dis y a pas de soucis. ça a toujours été ma démarche quand c’est bien je le dis, quand je vois que c’est contraire à ma démarche je le dis aussi. J’ai été contre l’année de l’Algérie en France telle qu’elle avait été conçue, mais je n’ai pas appelé à la boycotter. Chacun est libre de son appréciation et de ses gestes. Me concernant, rien ne me déviera de ma trajectoire. Maintenant, à l’histoire de juger les uns et les autres.

Vous avez dit que le président vous a transmis ses condoléances ?

Oui, oui à la famille Cheriet pas à Idir en personne même si j’étais là bas quand il avait envoyé le message. C’est de la wilaya de Tizi-Ouzou qu’on nous avait appelés pour nous dire que « vous devez passer pour récupérer un fax de la présidence ». ça ma ému et touché.

Mais sinon pour les fans qui vous attendent sur scène en Algérie ? Qu’est-ce qui empêche au jour d’aujourd’hui un concert de Idir à Tizi-Ouzou par exemple ? C’est des contraintes plutôt techniques ?

En tout cas, les spectacles, tels que je les conçois, ne nécessitent pas une grosse artillerie mais le minimum tout de même. Car le public est en attente d’autre chose que ce à quoi il est habitué. Il y a des jeunes qui n’étaient même pas encore nés quand je suis parti, donc il y a chez eux une double curiosité à satisfaire. Et puis, il est hors de question, si Idir devrait y avoir en Algérie, que je donne un spectacle quelconque. Voilà, donc la balle n’est pas dans mon camp à partir du moment où je montre ma disponibilité. Oui pourquoi pas une tournée qui passerait par Béjaïa, Tizi-Ouzou, Alger, Oran s’ils sont preneurs, Annaba…, enfin là ou on serait demandé. J’ai été un peu partout dans le monde, en Angleterre, au Canada…et pourquoi je n’irai pas à Constantine ou autres. C’est juste une question de logistique, ça n’a jamais été un refus sauf lorsque je soupçonne un signe récupérateur.

Comment tu imagines ton concert à Tizi-Ouzou ?

L’envie est grande, l’appréhension l’est autant. Lors de mon récent voyage-éclair pour la mort de mon frère, j’ai eu un coup émotionnel énorme. Alors qu’est-ce que ça sera sur une scène…

Entretien réalisé par D. C.