ETERNEL DE TAHAR YAMI
Par Aomar MOHELLEBI - Mardi 03 Avril 2012 -
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Matoub a suscité un débat riche, voire houleux
On découvre des images inédites de Matoub avec un autre look.
Hier, il y avait beaucoup de journalistes et beaucoup d'émotion dans la salle de théâtre de la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. En tout cas, plus que d'habitude. Il y avait des journalistes mais aucun officiel, comme d'habitude. Et comme d'habitude aussi et enfin, Matoub, bien qu'à partir du grand écran, a suscité un débat riche, voire houleux. L'occasion était la projection en avant-première pour la presse du film documentaire réalisé par l'un des fondateurs de Berbère Télévision (Brtv) Tahar Yami et intitulé «Matoub Lounès, le combat éternel».
Ceux qui s'attendaient à voir le combat et la vie de Matoub Lounès résumé dans ce documentaire ont été déçus et pour cause: peut-on vraiment cerner un personnage, aussi complexe dans le sens positif du terme, comme Matoub Lounès en vingt-six minutes? Le premier à reconnaître cette vérité indéniable qu'il s'agit d'une mission impossible est le réalisateur Tahar Yami lui-même. Ce dernier, en réalisant ce film documentaire, ne s'est pas fait d'illusions.
«Je savais d'avance qu'il était impossible de le faire. Il fallait donc effectuer des choix très difficiles. Mais il fallait que je réalise ce documentaire coûte que coûte car il me tenait à coeur», a déclaré Tahar Yami lors de la séance-débat avec les journalistes qui n'ont pas été avares en critiques mais aussi en éloges. Avec un calme de marbre et non sans conviction, Tahar Yami répondait à toutes les questions soulevées, à commencer par celle qui revenait sans cesse, à savoir: pourquoi avoir omis tel ou tel épisode important de la vie et du parcours de Matoub Lounès?
Des journalistes avaient l'air frustrés de ne pas s'être rassasiés des images audiovisuelles inédites que Tahar Yami a réussi à dénicher et à injecter dans son documentaire qui est une réussite sur le plan technique. La qualité de l'image, le montage, le commentaire sont tous parfaits. Mais il manquait, et personne parmi ceux qui ont visionné le documentaire n'en disconviendrait, des épisodes saillants du parcours de Matoub, comme celui de son kidnapping en 1994 et celui d'octobre 1988. Tahar Yami s'en défend en insistant qu'on ne peut pas tout dire en vingt-six minutes.
Pourtant, Tahar Yami a trouvé quelques minutes à consacrer aux événements du Printemps noir de 2001, lesquels, beaucoup de journalistes l'ont déploré, n'ont pourtant pas de rapport direct avec Matoub Lounès d'autant plus que l'artiste était assassiné trois ans auparavant. Ce passage relativement long, compte tenu de la durée courte du film-documentaire, aurait pu trouver sa place s'il s'agissait d'un film sur le combat de la Kabylie pour son identité et sa culture.
Mais Tahar Yami, dans ses réponses, a insisté sur le fait que ce qui s'était passé en 2001 n'est qu'un prolongement du combat de Matoub. Non que les journalistes présents aient contesté cela mais il va sans dire qu'un film documentaire sur la vie et le parcours de Matoub Lounès ne peut pas déborder sur des événements dont les tenants et les aboutissants restent à ce jour inconnus. Mais Tahar Yami semble savoir ce qu'il fait puisqu'il agit en connaisseur et en professionnel de cinéma dès lors que son parcours et ses formations universitaires l'y prédestinent et parlent amplement pour lui. Il s'agit aussi d'un homme de culture qui n'est pas tombé du ciel mais qui a aiguisé ses outils au fil des années. Il a ainsi escaladé toutes les marches sans brûler les étapes jusqu'à arriver là où il en est aujourd'hui.
D'ailleurs, Tahar Yami peut être fier d'avoir réalisé ce film-documentaire qui fera sans aucun doute couler beaucoup de larmes aux spectateurs qui auront la chance de le voir. C'est un produit audiovisuel émouvant, bouleversant et historique.
On découvre Matoub en train de chanter et de parler comme on ne l'a jamais vu auparavant, avec des images audiovisuelles de haute qualité et inédites de surcroît. On aperçoit un Matoub sur scène en France, devant des milliers de spectateurs, en train d'interpréter la chanson célèbre de l'enfant de Constantine, «Soleil de mon pays».
On découvre aussi dans d'autres images inédites un Matoub avec, encore un autre look, réitérant avec verve ses convictions concernant la liberté de culte et le droit à la diversité linguistique. Matoub apparaît également devant des dizaines de milliers de fans aux stades de Béjaïa et de Tizi Ouzou, au Zénith de Paris.
Mais on revoit aussi - malheureusement - les images de deuils collectifs ayant suivi son assassinat. Tout au long du film documentaire, la voix rauque et inimitable de Matoub qui chante accompagne le spectateur. Comme le fait cette même voix avec des milliers de citoyens kabyles et même arabophones depuis la sortie de son premier album en 1978.